INTERVIEW - août 1985

au magazine "METAL HURLANT "

CLINT EASTWOOD : Je me souviens que le script d"Une poignée de dollars" était très explicatif. L'histoire elle-même était très outrée, et je pensais qu'il fallait tâcher de conserver un peu de mystère aux personnages. Je n'arrêtais pas de dire à Sergio (Leone) que dans un bon film, le spectateur se fraie son propre chemin à travers l'histoire, alors que dans une série B, tout doit être expliqué. Par exemple, dans la scène où il (l'homme sans nom) décide de sauver la femme et le gamin, la fille devait lui demander pourquoi il faisait cela. Et la réponse était interminable. Il se mettait à parler de sa sa mère, de tout un tas d'intrigues mineures qui surgissaient de Dieu sait ou. et ça continuait comme ça, pendant des heures. Je me suis dit que ce n'était pas vraiment essentiel et j'ai réécrit la scène, la nuit précédant le tournage.

METAL HURLANT : Donc la femme demande : "Pourquoi faites-vous ça ?" Et il répond...

CLINT EASTWOOD : "Parce que j'ai connu quelqu'un dans ton cas et qu'il n'y avait personne pour l'aider."

Si on prend des gens comme Kirk Douglas et Burt Lancaster, ce sont des acteurs fabuleux, mais leur style à eux est plus agressif. Différent de celui de Gary Cooper ou d'Henry Fonda, parce que ces types-là étaient plus en retrait (laidback) plus introvertis et on se demande toujours ce qu'ils pensaient, au fond. Avec l'école Lancaster-Douglas, il n'y avait jamais aucun doute. Fonda-Cooper, on n'en était jamais sûr. Ils savaient s'entourer de mystère.

METAL HURLANT : C'est ce que vous recherchez vous-même : cet arrière goût ambigu ?

CLINT EASTWOOD : Absolument.

METAL HURLANT : Pensez-vous que le Duke (John Wayne), où qu'il se trouve en ce moment, soit fier de vous aujourd'hui ?

CLINT EASTWOOD : Je l'ai rencontré plusieurs fois, mais on ne se connaissait pas très bien. Je ne sais pas qui il était vraiment, mais je crois qu'il avait une autre vision du cinéma. J'essaie de faire des choses qu'il aurait évitées, et il en était de même pour lui.
Par exemple, je ne crois pas que j'aurais accepté le rôle de Gengis Khan (sourire). Et je l'imagine mal dans "Les proies".

A propos de "Honkytonk man"...

CLINT EASTWOOD : On s'est inspiré en partie de la vie d'Hank Williams pour le scénario, mais en fait c'est un mélange de trois ou quatre musiciens country particulièrement autodestructeurs. Hank Williams était très talentueux, je dirais même que c'était le meilleur auteur country. Ce n'était pas un très bon chanteur, mais il a écrit les meilleures chansons du genre.

METAL HURLANT : Avec qui aimeriez-vous chanter ? Pas Michael Jackson, je suppose ?

CLINT EASTWOOD : (sourire plus large) Je ne sais pas. Je n'ai pas de projet précis dans ce domaine (nouveau sourire). C'étaitformidable de chanter avec Ray Charles. Nous étions côte à côte dans le studio, chacun devant sa partition, sauf que la sienne était en braille. C'était incroyable : il chante et lit en braille en même temps. Je n'avais jamais vu ça. C'est un personnage fabuleux.

SMETAL HURLANT : Les séries télé :

CLINT EASTWOOD : Ca peut-être une bonne école pour le cinéma. On y fait beaucoup de films en peu de temps. Ce qui demanderait trente ans avec le cinéma ne prendra que quelques années avec la télé. Pour un acteur, c'est un bon échauffement.

METAL HURLANT : Bruce Springsteen (avec qui il partage cette fascination pour les anti-héros) : :

CLINT EASTWOOD : J'aime beaucoup ce qu'il fait. Il fait partie des meilleurs dans le rock.

METAL HURLANT : Dirty Harry :

CLINT EASTWOOD : Harry est un personnage sympathique, par certains côtés. Ce que les gens aiment chez lui, c'est son individualisme, son anti-bureaucratie, sa haine pour cette paperasse qui ralentit toute action. C'est sans doute ce qui le rend populaire.

METAL HURLANT : L'influence éventuelle de Harry sur les faits divers. Je lui parle de ce type dans le metro new-yorkais qui voulaient le dépouiller et dont les américains ont fait un héros.

CLINT EASTWOOD : Je ne pense pas que Harry puisse influencer des gens dans ce sens-là. C'est un officier de Police chargé de résoudre des affaires criminelles. Il trace son chemin à travers les régimes politiques et les diverses embûches administratives. Il va même jusqu'à s'attaquer à l'extrême droite, au sein même de la Police.
En ce qui concerne ce type, dans le métro, c'est peut-être un cas de légitime défense, ou quelqu'un qui en avait assez de la violence ambiante. Malheureusement, il est tombé sur une bande qui a essayé de le racketter. Mais je ne connais pas les circonstances exactes. Il peut s'agir d'un fou ou simplement d'un citoyen qui s'est défendu. Dans ce cas-là, il me semble difficile de le blamer. La seule chise qui soit un peu effrayante, c'est que tout le monde se mette à réagir comme ça. On finirait alors par tomber dans le schéma de "Magnum Force" quand Harry avertit les flics d'extrême droite, qui prônent l'élimintaion systématique des meurtriers. On commence par devenir justicier de la route, puis du trottoir pour finir par tomber sur quelqu'un (il me met en joue) qui n'aime pas votre tronche et qui vous abat. Ca rendrait la vie en société très malsaine.

METAL HURLANT : Les video-clips :

CLINT EASTWOOD : On dirait que c'est bon pour la vente des disques (sourire). Les enfants ont l'air de les apprécier énormément. Il m'est arrivé d'en voir quelques uns bons. Ils sont parfois plus crétaifs que certains films, et ça permet à beaucoup de jeunes de faire leurs premières armes. Je déteste voir mes enfants collés devant la télévision, mais les clips sont plutôt une bonne distraction quand ils sont imaginatifs.. Les e

METAL HURLANT : CLa candidature à la présidence des Etats-Unis (une idée de Norman Mailer)

CLINT EASTWOOD : Norman Mailer a parfois des idées étranges. C'est un très bon écrivain, l'un des meilleurs écrivains américains vivants. Mais, cette histoire-là, il l'a purement et simplement inventée. Je serais la dernière personne à être intéressée par une carrière politique.

METAL HURLANT : L'anti-héros :

CLINT EASTWOOD : L'image de l'anti-héros me fascinait, bien vant ma rencontre avec Don Siegel. Lui-même en était fanatique, et comme j'avais envie de jouer des rôles pas forcément sympathiques, il a sauté sur l'occasion.

METAL HURLANT : Ce qui lui a fait (un petit) plaisir. (What makes your day ?)

CLINT EASTWOOD : Des choses très simples, me promener dans Paris sous la neige. L'énergie et l'excitation qui accompagnent un nouveau projet. Passer du temps avec mes enfants ou simplement boire une bière avec des amis.

METAL HURLANT : Mais - question subtile - le genre n'at-il pas tout simplement été remplacé par la science fiction dans la tête des jeunots ?

CLINT EASTWOOD : Si bien sûr, les films du type "Starwars" sont des westerns dans l'espace. Mais personnellement, j'en ai marre de l'espace (sourire). J'aimerais bien qu'on fasse revenir un peu tout le monde sur Terre. Il n'y a rien de mal à faire des films de space fantasy, c'est du bon spectacle. Mais d'abord, je n'aime pas imiter les autres, et je reste persuadé qu'un scénario fort et le développement de relations entre les individus sont plus importants que les artifices d'un film. Quelle que soit la qualité des machins et des bidules qu'on met dedans.

METAL HURLANT : Alors, "Pale rider" ?

CLINT EASTWOOD : C'est une histoire que j'avais envie de traiter, deouis trois ou quatre ans, et sur laquelle j'ai fait travailler des scénaristes que j'aime bien (Michael Butler et Dennis Schryack). Je n'avias plus fait de western depuis longtemps, et ça me démangeait. Ca n'a rien à voir avec ce que j'ai pu tourner auparavant, bien qu'on y trouve des éléments du mythe western classique. Un peu comme dans "L'homme des hautes plaines" (point commun : l'étranger surgit de nulle part - filiation directe de l'Homme sans non leonien - et qui rétablit - hum - l'ordre.)

METAL HURLANT : Comment parleriez-vous de ces mythes ?

CLINT EASTWOOD : L'un des tout premiers films américains avait pour nom "The great American Robbery". Et si on estime que le cinéma est une forme d'art, comme le pensent certains, alors le western est véritablement un art américain, au même titre que le jazz. Dans les années soixante, les westerns américains montraient des marques d'épuisement, sans doute parce que les grands metteurs en scène - les John Ford, Anthony Mann, Raoul Walsh - travaillaient moins. C'est alors qu'arrivèrent les italiens, et on s'en accomoda. De toute façon, le western italien est mort rapidement. De mort naturelle. Ce qu'on peut faire maintent c'est analyser le western classique. On peut encore parler de sueur, de boulot pénible, de l'esprit, d'amour du pays, voire même d'écologie. Et je pense qu'on peut parler de tout çadans la forme classique du western.

METAL HURLANT : Dans "Pale rider", il y a en plus ce personnage que vous jouez, le prêcheur, à la frontière du fantastique (comme dans "L'homme des hautes plaines".

CLINT EASTWOOD : Oui, pendant un des raids du gang de la mine voisine, une jeune fille voit son chien se faire abattre devant elle. Désepérément, elle va l'enterrer dans la forêt, et prie pour qu'un miracle sauve son village. Et ce prêcheur surgit, comme venu droit des enfers. Ce n'est pas exactement un personnage très aimable, mais il décide d'aider la communauté, de la défendre contre ses prédateurs.
N'était-ce qu'un rêve de la jeune fille ? Peut-être, peut-être pas. Elle formule une prière et ce pasteur descend des montagnes. On peut interpréter ça de plusieurs manières. Pour moi, il s'agit avant tout d'une inspiration. Que le héros soit un être surnatural ou un émissaire céleste, l'important est le courage qu'il insuffle à ces mineurs désillusionnés qui sont prêts à abandonner leur campement. Mais, il s'avère qu'il y a une autre raison à la présence du pasteur. Il avait une autre existence, et ce conflit avec le shérif doit être résolu. (Le propriétaire de la grande mine a fait appel aux services d'un marshall à la réputation de tuer pour éliminer le prêcheur/pasteur.) C'est l'opposition fondamentale des forces du bien et du mal que révèle la lutte entre le trust et les mineurs indépendants. Et le héros se porte au secours des humbles et des pacifiques.

METAL HURLANT : Vous avez déclaré que, parmi tous vos films, ceux que vous préfériez étaient "Bronco Billy" et "Honkytonk man". Deux films qui ont en commun le tournage dans des régions éloignées de Hollywood. Aussi des films intimistes, à budget modeste, très personnels. Diriez-vous la même chose pour "Pale rider" ?

CLINT EASTWOOD : "Pale rider" a été tourné loin dans le Nord, et personne ne savait ce que nous concoctions. Le studio ne connaissait que le script et le casting, et c'est comme ça que je le conçois. J'ai tourné assez vite, environ cinq semaines et demie, car je m'étais bien organisé. Construire les décors de la mine et de la bourgade nous a pris un peu de temps, mais une fois que cela a été réglé, ça a marché comme sur des roulettes. Tout s'est enclenché, nous avons avancé à bride abattue et je me suis vraiment amusé. Ce que vaut le film, c'est au spectateur d'en décider. Pour ma part, ce fût une bonne expérience parce que j'ai accompli ce que je m'étais fixé. Je ne me sens pas floué.

METAL HURLANT : Vous avez la réputation de vous fier à votre instinct, et de ne tourner que ce que vous avez vraiment envie de faire. C'est toujours vrai ?

CLINT EASTWOOD : Oui. Pour tout ce que j'ai fait, ça a toujours été la règle : quelque chose que j'avais envie de voir sur un écran. Je me suis dit : "J'ai drôlement envie de voir un western. C'est le moment de sortir ce script du tiroir". Je déteste tabler sur une idée préconçue du public. J'ai toujours fonctionné ainsi. Si l'on se contente d'une idée préconçue, on se condamne à devoir répondre à l'attente du public, ce qui est dangereux. Cela affecte le film, et la façon dont vous le réalisez. Je suis sûr que si j'avais voulu faire de "Bronco Billy" un film plus commercial, j'aurais pu fourguer des scènes d'action, mais cela aurait détruit le film. Tôt ou tard, j'en aurais payé les conséquences car la qualité s'en serait ressentie. Je suppose que les studios interrogent leurs ordinateurs, font des tests et des sondages, mais tout cela est absurde. Si j'avais envisagé "Pale Rider" sous cet angle, j'aurais sacrifié, sa saveur, son âme, pour des raisons pseudo-commerciales. Des règlemenst de comptes plus spectaculaires, des milliers de figurants... Les spectateurs aussi ont un coeur et une âme : ils se sentent escroqués quand on triche et qu'on leur balance ça à la figure, sans nécessité.