INTERVIEW - mars 1987

 

au magazine "STARFIX"

 

CLINT EASTWOOD : Quand vous demandez la coopération du département de la Défense, ils étudient votre projet, ils vous disent ce qui leur plaît et surtout ce qui ne leur plaît pas. Sur "Firefox, nous avions eu un rapport formidable ; il y avait bien dans le scénario quelques éléments qui visiblement les gênaient, mais ils ont laissé passer, une fois le film terminé.

STARFIX : Ca se passe donc toujours en deux temps ?

CLINT EASTWOOD : Oui. Ils se réservent cette sécurité-là. Si le film terminé ne leur convient pas, ils vous demandent simplement de retirer leur nom du générique. Sur "Firefox", nous n'avions eu aucun problème. Mais la direction a changé, l'attitude aussi. Nous avons eu affaire à un certain Bob Simms, secrétaire d'Etat à la Défense ou quelque chose comme ça. Nous étions arrivés à une sorte d'accord avec les Marines, mais par la suite, Simms a "oublié" un certain nombre de points de notre discussion. Les Marines ont retiré leur patronnage pour la gala de charité. C'est même comme ça que l'affaire a été découverte par la presse, donnant l'impression que le corps des Marines tout entier désapprouvait le film, ce qui n'était pas le cas.

STARFIX : Au départ, ne devait-il pas s'agir de l'armée et non des Marines ?

CLINT EASTWOOD : Effectivement. Au départ, il s'agissait d'une compagnie aéroportée. Mais au Pentagone, ils ont l'impression que le Vietnam ou la Corée, cétait une époque différente, révolue sans rapport avec l'armée d'aujourd'hui. "Les gens ne parlent pas comme ça aujourd'hui" disaient-ils. J'ai rétorqué que les vétérans de Corée et ceux du Vietnam prendraient ça très mal s'ils apprenaient qu'au Pentagone, on les rangaient du côté des barbares et qu'aujourd'hui, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes militaires.
Mais la Défense s'est aujourd'hui lancée à fond dans une opération de relations publiques. "Allez jusqu'au bout de vous même avec l'Armée". ou "Ce n'est pas un job mais une grande aventure" ou encore "Les Marines recherchent des hommes d'exception". Ce genre de choses. Dans tous les spots publicitaires, l'image qui est donnée est celle d'une haute technologie dans le domaine de l'informatique. Vous en voyez que des jeunes genstrès bien élevés assis très proprement devant des ordinateurs.. Il n'y a personne qui patauge dans la boue et dans les tranchées avec un fusil à bout de bras. On ne vous dit jamais que vous risquez de partir à la guerre et même d'y mourir. Comme je pensais que les gens qui ont fait la guerre pour nous, qu'ont l'ait gagnée ou pas, étaient des gars qui n'avaient pas envie d'y aller - et comme je ne faisais pas un film de propagande pour l'armée - j'ai persisté. Qu'on aime ou pas "Le maître de guerre" correspond exactement à ce que je voulais mettre sur l'écran.

STARFIX : L'incident de la carte de crédit s'est-il vraiment déroulé ? Le bidasse qui en pleine opération à Grenade ne parvient pas à joindre le reste des troupes par radio, qui se sert d'un téléphone normal et qui s'entend demander son numéro de carte de crédit.

CLINT EATSWOOD : Je ne sais pas. La presse en a parlé comme d'un évènement réel : beaucoup de gens m'ont affirmé que ça s'est vraiment passé, d'autres me soutiennent le contraire. Moi, je trouvais que c'était tout à fait plausible - et très drôle. Donc à la limite, ça m'était égal. Je dois avouer qu'aucun Marine ne s'est présenté à moi en me disant : "Oui, c'est vrai, c'est à moi que c'est arrivé".

STARFIX : Le Pentagone a dû râler ?

CLINT EASTWOOD : Mr Simms a quelque peu tiqué. "L'armée ne veut pas qu'il en soit fait état ; ce n'est qu'un bobar répandu par la presse". A quoi, j'ai répondu que je tournais une fiction et non une chronique sur Grenade.

STARFIX : Passons sur la réaction officielle du corps des Marines. Y a-t-il eu des Marines, qui, à titre individuel, soient venus vous voir pour vous dire "C'est vraiment comme ça que ça se passe, nous somme d'accord avec vous" ?

CLINT EASTWOOD : Mais tous les Marines a qui j'ai parlé ont aimé le film. Seul le Pentagone... Et encore ! Même les officiers supérieurs du Pentagone se sont sentis un peu mal à l'aise parce que Simms était.... non pas un homme d'active - il est à la retraite - mais un attaché de presse. Comment appellent-ils ça la-bas ? Chargé de l'information publique ou quelque chose comme ça. Mais c'est ça, le Pentagone. La bureaucratie à son plus haut niveau.... Lorsque les gens entrent au Pentagone, ils deviennent des animaux politiques. Quand vous mettez les pieds la-dedans, quand vous voyez toutes les intrigues qui s'y jouent, vous vous dîtes que s'ils dépensent autant de temps et d'énergie sur un simple film, vous n'osez pas imaginer ce qui se passerait en cas de coup dur.

STARFIX : Nous y reviendrons.

CLINT EASTWOOD : Mais finalement, corps des Marines ou armée, ça n'avait pas d'importance, les deux disciplines ont opéré à Grenade. Les Marines sont le seul département qui, même sur le plan des relations publiques, reconnaissent l'existence des tranchées et de la boue.

STARFIX : Ils ont donc marché avec vous et vous avec eux ?

CLINT EASTWOOD : C'était ça ou l'absence totale de coopération de la part du département de la Défense. Or, si vous ne bénéficiez pas de leur assistance technique, il vous est difficile sinon impossible de mener à bien un projet comme "Le maître de guerre".

STARFIX : Vous aviez besoin d'un équipement énorme ?

CLINT EASTWOOD : Qu'ils ont mis à notre disposition, oui. Ils nous ont également autorisés à participer à leur simulation d'offensive militaire sur l'île de Viejes. Ils devaient déployer tout leur matériel amphibie, ils nous ont prévenus, nous avons embarqué six caméras, j'ai donné à l'opérateur une liste des plans dont nous avions besoin, et nous avons entièrement filmé l'offensive, dans laquelle, par la suite, nous avons incorporé nos éléments à nous.

STARFIX : Vos acteurs ont partcipé à cette fausse invasion ?

CLINT EASTWOOD : Non. De toute manières, dans le scénario, nos gars se retrouvaient séparés des autres, ce qui nous facilitait la tâche. Il suffisait de matcher les plans.

STARFIX : Le scénario de James Carabatsos vous est-il arrivé sur la table ou est-ce vous qui l'avez commandé ?

CLINT EASTWOOD : Il a atterri sur mon bureau : mais... j'aimais bien les quatorzes première pages mais pas la suite. Je l'ai fait réécrire par Joe Stinson qui avait écrit "Sudden Impact" et par Dennis Hackin qui avait écrit "Bronco Billy", sans que la Guilde des Auteurs leur en accorde le crédit, ce que je trouve regrettable.

STARFIX : Auquel des trois doit-on l'obscénité flmaboyante du dialogue ?

CLINT EASTWOOD : Aux trois ! Je dois reconnaître que Jim Carabatsos avait donné le ton dans ses quatorze première pages. Les autres ont suivi, avec le plus grand naturel du monde. Ils sont tous les trois très forts dans ce domaine.

STARFIX : Il était évident que le rôle de Highway vous était dévolu ?

CLINT EASTWOOD : Où voulez-vous en venir ?

STARFIX : Auriez-vous mis ce film en scène sans y paraître ?

CLINT EASTWOOD : Ca m'est déjà arrivé de diriger un film sans y paraître...

STARFIX : Breezy...

CLINT EASTWOOD : Et je ne desespère pas de me lancer à nouveau dans un film dont je ne serais que producteur et metteur en scène. Mais dans un cas comme dans l'autre, mon approche est la même. Je regarde le sujet dans son ensemble et je me dis : "Où est-ce que je m'insère là-dedanbs ? Est-ce que l'histoire fonctionne ? Est-ce que j'aurais envie de voir ce film ? Que je sois dedans ou pas. "Si j'étais adolescent, est-ce j'aurais eu envie de le voir ?"
En ce qui concerne "Le maître de guerre", j'ai toujours été intrigué par les militaires de carrière qui atteignent l'age de la retraite. Plus rien à faire, nulle part où aller. S'ils ont réussi à faire des économies, ils ouvrent un petit bar où s'achètent une petite ferme - mais, il y en a très peu qui le font. Leur vie s'arrête le jour ou ils sont mis à la retraite. Highway est un homme à la croisée des chemins, sur le plan de sa vie privée et sur le plan carrière. C'est aussi un homme à problèmes. Un bagarreur, un râleur, un homme qui boît trop. Il aurait dû avoir un grade bien plus élevé. D'autant qu'il est médaillé militaire.... J'ai toujours été fasciné par les gens qui en principe, travaillent à la défense de leur pays., qui n'y sont donc jamais et, qui au bout du compte ne le connaissent pas très bien. Highway est forcé de replonger dans un monde dont en fait il ignore tout, et tout d'un coup, il est obligé de se prendre, un cours accéléré de civilisation contemporaine, il est obligé de se dire : "Qu'est-ce que j'ai raté de ces cinquante dernières années ?".

STARFIX : D'ou ces chansons des années 50 dans le juke box du café ?

CLINT EASTWOOD : Effectivement. Je voulais que ce bar ait un son fifties, comme si pour tous ceux qui fréquentent ce bar, le temps s'était arrêté en 1959.

STARFIX : Pourquoi dans "Le maître de guerre", vous êtes-vous donné cette voix cassée, comme si Highway s'était fait taper sur le larynx une fois de trop ?

CLINT EASTWOOD : L'homme a des cicatrices partout, y compris au larynx.... Oui... J'avais un oncle, le frère de ma mère, qui parlait comme ça. Quand j'étais enfant, je passais mon temps à l'imiter - il avait horreur de ça, parce que c'était quelqu'un de très doux, de très gentil et qui détestait avoir cette voix rugueuse, rude. J'ai eu envie de m'en servir pour Highway ; je pensais que ça collait bien.

STARFIX : Le personnage de Highway est-il inspiré par quelqu'un que vous avez connu ou par un ensemble de gens ?

CLINT EASTWOOD : Par un ensemble de gens, que j'ai connus, rencontrés, aperçus, ou dont on m'a parlé, ou dont j'ai lu l'histoire...

STARFIX : Vous procédez toujours de cette manière ?

CLINT EASTWOOD : Généralement oui. Le personnage de "Honkytonk man était inspiré par quelqu'un que je connaissais. Celui d'"Un frisson dans la nuit" ; c'était un disc jokey qui vit maintenant à Mendocino.

STARFIX : L'homme qui n'avait pas de nom des dollars de Sergio Leone ?

CLINT EASTWOOD : PFantasme total. Réaction contre le personnage que j'ai joué pendant des années dans le feuilleton "Rawhide".

STARFIX : Et fantasme total, que dans "Le maître de guerre", Highway se mette à lire "Harper's bazaar" ?

CLINT EASTWOOD : Non. C'est une des méthodes qu'il emploie pour essayer de comprendre sa femme, Marsha Mason. Il a certainement connu beaucoup de femmes mais il ne les comprend pas, il ne mes a jamais comprises, il n'a jamais essayé, il ne s'est jamais posé de questions. Il ignore tout de l'évolution des femmes en général - et de son ex en particulier, avec qui il aimerait bien se réconcilier. Mais elle lui répond avec beaucoup d'honnêteté : "La seule raison pour laquelle tu veux revenir, c'est parce que pour toi tout est fini." Il est comme beaucoup d'hommes : ils ne se rendent pas compte qu'il y a toujours eu autre chose dans la vie. Ils ont vécu, ils ont mûri dans certains domaines, pas dans d'autres. arrive le moment où ils sont obligés de prendre du recul : ils se rendent compte qu'ils ne connaissent pas grand chose. C'est cela qui m'a attiré chez Highway. Et aussi le fait que ce n'était pas un film d'action mais pour moi, un film de personnages.

STARFIX : Celui de Marsha Mason témoigne d'une vigueur et d'une verdeur pour le moins inattendue.

CLINT EASTWOOD : Vous ne devez pas connaître beaucoup de femmes militaires.... On comprend son attitude vis-à-vis du personnage que je joue. Ni l'un ni l'autre n'a la langue dans sa poche et ils est probable que deux heures après s'être réconciliés, ils seront en train de s'engueuler. Ni Marsha, ni moi ne voulions faire dériver son personnage vers le pitoyable. Elle voulait être aussi costaud que le personnage masculin.

STARFIX : Vous avez toujours voulu avoir un personnage fort en face de vous.

CLINT EASTWOOD : Oui. Je ne connais rien de plus ennuyeux que de jouer tout seul. Je crois que les peronnages féminins décrits comme ces petites choses fragiles et gémissantes qu'on a beaucoup vues récemment constituent une forme de récession. Regardez les grands classiques : les meilleurs films de notre histoire sont ceux où les personnages féminins sont forts : elles ont un point de vue, et ne se gênent pas pour l'exprimer. Elle sont aussi fortes et aussi têtues que leurs partenaires masculins. Ca donne un conflit plus intéressant, me semble-t-il. C'est dans les années 60 qu'on a commencé à décrire les femmes comme des êtres faibles.

STARFIX : Les hommes aussi se sont avérés plus fragiles.

CLINT EASTWOOD : Sans doute. Les Clark Gable et les Gary Cooper ont disparu. Mais... c'est aussi ce qui rendait les personnages féminins forts, que ce soit les Susan Hayward de l'époque ou les pseudo-féministe, mais.... Des tas de gens clament l'égalité des femmes, mais je pense qu'il faut agir - et leur redonner leur place, les ramener où elles étaient.

STARFIX : Aux fourneaux ? !

CLINT EASTWOOD : Non, au top. Sur le plan du spectacle, c'était la place qu'elles occupaient. Je me souviens, lorsque j'étais gamin et que j'allais au cinéma, si ce n'était pas l'acteur principal qui m'attirait, c'était l'actrice principale. Aujourd'hui, ce n'est presque plus jamais le cas. On va voir un grand film d'aventures ou une aventure dans l'espace, et les acteurs sont simplement à bord.

STARFIX : Le metteur en scène n'était pas un élément déterminant ?

CLINT EASTWOOD : Pas vraiment. On allait voir un John Wayne ou un Gary Cooper. La seule exception serait peut-être John Ford, parce qu'il avait son nom aussi gros que John Wayne. J'aimais beaucoup des gens comme Bogart ou Cagney. Capables de toutes les audaces, sans vraiment se soucier de leur image. Leurs personnages étaient incensés et les films au bout du compte étaient très bons. Bogart dans "Sierra Madre" et "African Queen". Ou Cagney dans n'importe quoi. Il n'avait peur de rien. J'aurais aimé travailler avec lui.

STARFIX : Comment avez-vous choisi vos acteurs pour "Le maître de guerre" ?

CLINT EASTWOOD : Par processus d'audition. J'avais un casting director qui les mettait sur video. Je regardais les bandes : s'il y en avait un qui m'intriguait, je me faisais projeter un film dans lequel il avait déjà tourné. Vous cherchez aussi un look. Il faut que vos personnages collent bien ensemble, qu'il soit plausible de les retrouver dans un même baraquement.

STARFIX : Vous n'assistez jamais aux auditions ?

CLINT EASTWOOD : Non. Généralement, je ne rencontre les acteurs que lorsque je suis au bord de leur dire oui. C'est difficile de dire non à quelqu'un. Je le sais, je suis passé par là. J'ai eu tellement de rejets et de refus quand j'étais jeune, ou de gens qui vous serrent la main et disent vous trouver formaidable, et vous n'entendez plus parler après - ou d'autres qui vous traitent de voyou ou de clochard et vous disent d'aller travailler dans les produits pharmaceutiques mais surtout pas dans le cinéma... C'est pour cela que je ne fais pas "passer de scènes". Quand Mario Van Peebles est entré dans le bureau, j'ai dit oui tout de suite. C'était le seul dont je n'avais rien vu mais ça se voyait à sa manière d'occuper l'espace. Certains des acteurs, je ne les ai rencontrés que sur le plateau.

STARFIX : Avez-vous enfermé vos acteurs dans une caserne avant le tournage, pour qu'ils commençent à devenir une équipe ?

CLINT EASTWOOD : Non. Certains d'entre-eux sont allés à San Diego pour voir comment se déroulait un entraînement. Je n'ai pas passé beaucoup de temps avec eux. C'est dans le travail qu'est née cette espèce de camaraderie - et très vite, ils ont commencé à s'amuser. On commençait à répéter, ils voulaient tout le temps me montrer des chose auxquelles ils avaient pensé. On en gardait certaines, on en laissait tomber d'autres.... Ils ont énormément contribué au film.

STARFIX : Vous avez beaucoup travaillé avec cette caméra extrêmemnt mobile qu'est la Steadicam.

CLINT EASTWOOD : Oui. Presque tout le temps. Parce que les intérieurs étaient plutôt étroits, et que je voulais aussi garder cette notion de groupe, filmer fluide, laisser les choses de faire et suivre. Autrement, je n'aime pas beaucoup répéter. On commençait à répéter, une idée nous venait, on allait chercher la caméra pour voir la tête que ça aurait...

STARFIX : Vous ne tournez pas énormément de pellicule.

CLINT EASTWOOD : Non.

STARFIX : Certains vous ont surnommé "One Take Clint", "Clint-la-première-prise-est-bonne".

CLINT EASTWOOD : "Certains exagèrent". Ca dépend. J'essaie d'installer un "mood", une ambiance, avant de tourner - et je tourne. Je n'aime pas beaucoup répéter et répéter encore, au point de laisser les bonnes répétitions se diluer dans l'air. Souvent quand on répète, on a une trouvaille, "Parfait, on la refait pour la caméra" et on ne la refait jamais vraiment. Ce n'est plus ça. Il y a un moment ou il faut savoir se taire et commencer à filmer, mais aussi détendu que si on répétait. D'autres aussi, où il faut également savoir se taire, parce que les quatre ou quarante prises suivantes ne serviront à rien, et passer à autre chose.

STARFIX : CDans "Le maître de guerre" plus qu'ailleurs, vous laissez rarement sortir un personnage du champ, la caméra le suit toujours un peu, ou l'attrape juste avant le moment où "normalement", il devrait entrer dans le champ.

CLINT EASTWOOD : Ca, je le fais exprès. A moins de vouloir donner une certaine stylisation. En général, les chefs opérateurs font sortir l'acteur du champ. Moi, je leur demande de toujours le suivre un peu ; d'entrer avec lui, juste un peu avant. Sauf pour "Josey Wales", où je sortais lentement du champ - mais je m'en servais comme d'un fondu au noir. Au montage, ça donne au public l'impression d'être avec les personnages, dans le mouvement, dans la scène. A certains moments, dans "Le maître de guerre", lorsque nous filmions les tanks, par exemple, nous faisions trembler les caméras, comme dans les reportages d'actualités, quand le caméraman est dans un trou et que le tank lui passe au dessus de la tête.

STARFIX : Vous avez fait la guerre ?

CLINT EASTWOOD : "CertaiJ'ai fais mon service militaire pendant la guerre de Corée, en 1951 et 1952. Mais, je suis sorti du circuit à la suite d'un accident d'avion. J'étais simple passager à bord, il devait y avoir une enquête sur les raisons de l'accident et on m'avit demandé de rester pour les besoins de l'instruction. L'enquête n'a jamais eu lieu mais pendant ce temps-là, je me suis retrouvé en compagnie de vétérans de Corée - la plupart avait d'ailleurs fait la bataille d'Heartbreak Ridge - j'enseignais les techniques de survie en mer, des choses comme ça ; puis, par le cours normal des choses, j'ai changé de classification et finalement, je ne suis jamais allé en Corée. Je n'ai pas non plus terriblement insité pour y aller...

STARFIX : Avez-vous voulu faire du "maître de guerre" un film pour la guerre, contre la guerre, sur la guerre ?

CLINT EASTWOOD : (Il soupire) Les hommes font la guerre depuis l'aube des temps. C'est triste à dire mais il n'y a que les armes qui changent. Le "maître de guerre" ne cherche pas à prendre position vis-à-vis de la guerre. Ce n'est pas un film de glorification militaire - J'en ai déjà tourné, de ceux-là : dans "Quand les aiglent attaquent", deux hommes à eux seuls, gagnent la deuxième guerre mondiale.

STARFIX : Ici, il s'agit de l'ile de Grenade. Pourquoi Grenade...

CLINT EASTWOOD : Ah....

STARFIX : Et il n'y avait pas danger à ce que cela soit pris comme une option politique ou un jugement politique sur l'intervention américaine à Grenade ?

CLINT EASTWOOD : Je ne sais pas. C'est très strictement parti du fait que Grenade est la dernière invasion... La dernière intervention militaire américaine à l'extérieur. Pour que l'histoire que je voulais raconter soit contemporaine et non pas située dans une épriode antérieure, pour qu'elle se déroule aujourd'hui, je n'avais pas d'autre choix que Grenade. C'était le plus logique.
Cela posé, je ne sais pas ce qu'est exactement ma position quant à l'intervention américaine à Grenade. Au moment ou elle s'est passée, j'ai fait comme tout le monde, j'ai appris ça par les journaux, je n'ai tenu mes informations que de la presse, laquelle disait - en substance - qu'il s'agissait là d'une "simple opération militaire de sauvetage". Lorsque vous y regardez de plus près - et c'est ce que j'ai fait au moment d'entreprendre ce film - que vous interrogez l'Armée, la Marine, etc..., tous ceux qui y ont pris part, vous commencez à vous posez des questions. L'armée américaine se faisait épingler par une poignée de cubains... Je suis tombé par hasard sur un télégramme envoyé par l'un des commandants en chef - de l'armée, lui, disant aux Marines : "Mais qu'est-ce que vous venez foutre ici ? Il y a huit mille soldats tous de l'Armée..." Il y avait une rivalité, une compétition entre l'Armée et la Marine. L'armée s'est fait accuser de faire tourner le plus grand nombre de soldats possible à Grenade à seule fin d'obtenir le plus de médailles possible. Ca, je désapprouve foncièrement. Toutes les opérations de type "coopération entre les différents corps de Défense" se sont toujours révélés catastrophiques - et c'est un euphémisme. Ca s'était déjà passé sous Carter au moment de l'affaire des otages en Iran. Or, plutôt que de mettre tout le monde dans le bain - armée, marine, aviation - il me semble qu'une unité bien soudée suffit. Et en disant cela, je ne prends pas position quant à la justification d'une intervention. Je ne parle que d'efficacité. Autrement, tout le monde passe son temps à se tirer dans les pattes et ça devient une opération de relations publiques. Mais ça, c'est le Pentagone. Ils ont tous un ego gros comme ça.

STARFIX : C'est à celui qui tirera le plus fort ?

CLINT EASTWOOD : Oui. Quelque chose comme ça. J'étais très partagé sur l'affaire de Grenade. D'un côté, vous aviez un président qui se faisait tailler en pièces, donc, il se passait bien quelque chose dans ce coin-là ; de l'autre, une invasion massue, ce qui m'a paru bien excessif. Il y avait surement un moyen de régler le problème. Ou peut-être pas ! L'invasion était peut-être le moyen, je ne sais pas, je n'ai pas assez d'éléments pour juger. Je n'avais pas du tout l'intention avec "Le maître de guerre" de porter un jugement sur l'affaire de Grenade.
L'affaire de Grenade s'est déroulée, c'est un fait ; les Marines se sont fait envoyer dans une îls dont ils n'avaient pas entendu parler, c'est un fait ; l'Armée et la Navy se sont mises de la partie c'est un fait. Du point de vue du fantassin, ils ne savaient pas pourquoi ils y allaient. Du point de vue d'un sergent Highway, il y va parce qu'on lui dit d'y aller. Que ceux qui ont décidé de l'invasion aient tort ou raison, il fait son job. A posteriori, il a peut-être des doutes et se pose des questions, mais il n'y réfléchit guère...
Et moi non plus, je n'ai pas vraiment tenu à trop y réfléchir. L'affaire s'est passée, des gens y sont allés, des gens y sont morts. Je voulais simplement raconter une histoire qui se serait déroulée dans ce cadre. J'ai horreur que l'on range les gens par catégories. Tout le monde essaie de fourrer tout le monde dans une catégorie, dans un tiroir, sous une étiquette. Les extrémistes sont toujours les premiers à vouloir coller des étiquettes à tout le monde. Les extrêmistes de gauche traitent tout le monde de fascistes, les extrémistes de de droite traitent les libéraux de de communistes ou d'anarchistes ou de ce que vous voudrez.
Or les gens sont trop complexes pour être rangés dans un tiroir et je réclame pour tout le monde, le droit d'être conservateur sur certains points, libéral sur d'autres, radical sur d'autres encore et "environnementaliste" sur quinze autres points. En ce qui me concerne, ce film n'est pas une approbation de l'intervention américaine à Grenade. Ni une désapprobation.

STARFIX : Mais vous étiez bien conscient du danger ; ça vous etait déjà arrivé avec "L'inspecteur Harry" ?

CLINT EASTWOOD : "Je le sais. Il y a toujours quelqu'un pour trouver que tout est politique. Beaucoup de gens ont pensé que "L'inspecteur Harry" était un film politique, et ça ne l'est pas. Harry Callahan est un individualiste, il a une certaine philosophie, une certaine attitude, une certaine position en ce qui concerne les victimes de crimes. A l'époque, il n'existait pas d'organisations mises en place pour aider les victimes de crimes violenst de leur familles. Je ne suis pas non plus forcément d'accord sur la philosophie de Harry dans son ensemble. Mais je ne suis pas en désaccord avec lui quant à l'importance des droits des accusés. Nous ne faisons que raconter des histoires. Ca ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire un film sur quelqu'un qui est accusé à tort. Harry se pose des questions sur le système légal. Comme tout le monde. Je ne connais personne dans aucun pays au monde qui ne se sente frustré par une décision des tribunaux.

STARFIX : La rumeur avait couru, il y a quelques années que vous aviez envisagé de financer une expédition-éclair au Vietnam : un homme voulait retrouver des prisoniers de guerre ou des personnes portées disparues, et vous auriez à un moment songer à en tirer un film.

CLINT EASTWOOD : Je suis tout à fait au courant de la question des priosnniers de guerre, des véétrans portés disparus et qui seraiant encore dans les camps de prisonniers au Vietnam ou dans la région. Mais je ne mettrais jamais en danger la vie d'une personne pour... pour quoi ? Pour en tier un scénario ? Ce serait obscène.

STARFIX : Etes-vous un animal politique ?

CLINT EASTWOOD : Non. Ca ne m'intéresse pas trop. Je serais d'ailleurs curieux de savoir combien de politiciens entrent dans l'arène politique par unique souci du bien d'autrui et du bien-être public.

STARFIX : C'est amusant de faire le maire ?

CLINT EASTWOOD : Disons que c'est... un défi. Parfois. Et c'est rigolo. Parfois.

STARFIX : Aimez-vous le pouvoir ?

CLINT EASTWOOD : "Uniquement dans la mesure où il permet de faire ce que jeveux ou ce qui m'interesse sans qu'un vice-président de studio ne vienne me surveiller par dessus l'épaule. C'est pour cela que j'ai crée ma maison de production il y a vingt ans. Je me suis dit que si ma carrière deavit être fichue en l'air, j'étais aussi qualifié qu'un autre pour le faire.

STARFIX : Pensez-vous poursuivre une carrière en politique ?

CLINT EASTWOOD : CEtre président ou député ou sénateur suppose que l'on se retire du métier du cinéma. Ce sont des jhobs à temps complet. (un temps) Et je ne pense pas que ma vie privée puisse supporter l'examen que l'on vous fait passer pour accéder à des postes de ce niveau.

STARFIX : Vous comptez doucement glisser d'une carrière d'acteur à celle de réalisateur exclusivement ?

CLINT EASTWOOD : On verra. Le jour viendra sans doute... Il est aussi toujours possible que le public se détourne de vous et il faut bien s'adapter. Vous n'avez pas le chois et il faut être réaliste. Mais je pense que je voudrais continuer dans la mise en scène. Regardez Kurozawa... J'ai toujours été un fan de cinéma japonais. Surtout Kurozawa : "Les sept samouraïs, "Rashomon", "Barberousse"... Mais faire un film comme "Ran" à l'age de soixante-dix ans ! Et avec quelle discrétion ! Chez Kurozawa, même pendant des parties très dialoguées, alors que les gens sont immobiles, on a l'impression de mouvement. Beaucoup plus que chez d'autres réalisateurs qui font voler leurs caméras dans les cintres, ou les font plonger à toute vitesse, ou les mettent sur roulemnt à bille. Chez Kurozawa - comme chez John ford, d'ailleurs - chaque cadrage, chaque portrait est beau, et le metteur en scène le tient jusqu'au bout, en tire le meilleur parti. Ces gens-là ne faisaient pas étalage de leurs prouesses athlétiques, ils ne faisaient pas étalage de leur technique, ils faisaient un film, c'est tout. J'aimerais faire parti de cette famille-là.