INTERVIEW - Août 1993

 

au magazine "CINE NEWS "

 

CINE NEWS : Il avait déjà eu "Garbo rit". Il semble qu'une grande partie de la publicité de "Dans la ligne de mire" se fasse sur le thème "Clint Pleure"...

CLINT EASTWOOD : Je ne suis pas sur que ce soit la première fois que je pleure dans un film. Cela à dû m'arriver, sauf erreur, dans "Josey Wales hors-la-loi". De toute façon, ce ne sont pas à ses larmes qu'on juge un comédien. Presque tous les comédiens savent pleurer comme il faut. Ce qui est difficile, c'est au contraire de retenir une émotion, d'essayer de l'étouffer, en un mot de faire sentir une énergie intérieure. William Munny dans "Impitoyable", et "Horrigan" dans "Dans la ligne de mire", sont des hommes hantés. Munny par le souvenir d'une chose qu'il a faite, Horrigan par celui d'une chose qu'il n'a pas faite, mais l'un et l'autre doivent surmonter ce traumatisme. En fait, j'ai toujours aimé l'idée d'exprimer chez un personnage une certaine vulnérabilité. Même dans mes premiers films, qui étaient certainement moins complexes que ceux que j'ai pu tourner récemment, les héros traversaient certainement moments de dépression consécutifs à des épisodes mal résolus de leur passé.

CINE NEWS : Est-ce bien l'image que vous avez auprès du public ?

CLINT EASTWOOD : Eh bien, il n'est pas mauvais de jouer un peu les iconoclastes, vis-à-vis de soi-même, parce qu'une image s'impose le plus souvent par hasard. Quand un comédien commence sa carrière, il ne sait pas s'il va jouer les méchants ou les gentils, les héros romantiques ou les coeurs de pierre. Il essaye de jouer tous les rôles qui s'offrent à lui, jusqu'au jour où... Dans mon cas, le déclic s'est produit avec les westerns et les films d'avanetures, puis avec les films policiers. Le public a voulu croire que j'étais comme sur l'écran-un type quis e preomène sans jamais lacher son Magnum 44. Mais je ne suis pas comme sur l'écran !

CINE NEWS : C'est pour cela que, dans " "Impitoyable" vous avez remis en question la violence au cinéma...

CLINT EASTWOOD : Pas seulement la violence au cinéma mais la violence qui nous entoure. Le fait de remettre en cause, à travers un western, les vertus du recours aux armes ne sgnifie pas que le sujet ne soit pas actuel. "Impitoyable" se situe au début du XIX ème siècle, mais les questions se présentent aujourd'hui de la même façon ou d'une façon plus pressante encore. Je ne comprends pas très bien ce qui se passe aux Etats-Unis du point de vue politique. Notre société est devenue très complaisante, et je crois que tous le mal vient de là. Chaque fois que des hommes politiques parlent à la télévision, ils mettent tout sur le dos de la télévision. Mais il me semble que qu'ils n(accusent celle-ci que pour être sur d'être cités le lendemain dans les journaux. Je ne dis pas que la télévision échappe à tout reproche, mais elle ne saurait être tenue pour responsable de tout. C'est en fait notre société tout entière qui fait preuve d'une complaisance coupable à l'égard de la télévision. Je ne puis dire si cette complaisance commence dans les tribunaux ou dans le coeur même des gens, mais, pour reprendre la question un jour posée par Churchill, nous avons peut-être les hommes politiques que nous méritons. Quoi qu'il en soit je sui heureux qu'"impitoyable" est semblé posé des questions suffisament intéressantes pour qu'on le retienne pour les Oscars.

CINE NEWS : L'Oscar a-t-il fait de vous un autre ?

CLINT EATSWOOD : En aucune façon. On ne compte pas les grands réalisateurs qui n'ont jamais eu d'Oscars, ni les grands films qui ont été négligés. Inversement, on constate qu'on a parfois couronné des films secondaires... Disons qu'on espère toujours parvenir dans son travail à réaliser la meilleure conjonction dans le sens ou l'on parle de "conjonction astrale". C'est ce qui s'est produit pour "Impitoyable", - sans doute l'un des meilleurs scénarios que j'ai jamais eu à ma disposition -, mais cela aurait pu se produire pour "Josey Wales, hors-la-loi", qui est à mon avis, un film de la même qualité. Simplement, il n'est pas arrivé au bon moment.

CINE NEWS : Comment avez-vous choisi "Dans la ligne de mire" ?

CLINT EASTWOOD : Je suis tombé par hasard sur ce sujet, qui semblait taillé sur mesure pour moi. Un type qui aime la musique, et qui se distrait en faisant semblant de jouer de tel ou tel instrument. Nous avons tous aimé ce projet, et nous nous sommes dit que si la Columbia venait nous le proposer, nous l'accepterions immédiatement. Tout s'est décidé très vite, en fait contrairement à ce qui s'était passé pour "Impitoyable" dont le scénario traînait dans un placard depuis 1982. Je l'avais dans un coin de ma mémoire, jusqu'au jour où sans raison particulière, j'ai eu le sentiment que le moment était venu de réaliser un western bien construit.

CINE NEWS : Vous n'avez quand même pas décidé de tourner "Dans la ligne de mire" simplement parce que le héros était un musicien ringard à se moments perdus ?

CLINT EASTWOOD : Je me suis passionné pour ce scénario d'abord que les gens des services de sécurité ont toujours été d'une exceptionnelle discrétion et ont évité toute publicité. Et l'on ne sait finalement pas grand-chose de la mentalité de ces hommes qui sont prêts à recevoir une balle à la place de quelqu'un d'autre et de quelqu'un qu'il ne respectent même pas spécialement ! Mentalité trange, mais admirable, parce qu'il faut bien que des gens fassent ce métier... J'ai préparé mon rôle en voyant des documentaires et des films que les services de sécurité utisent pour former leurs agents et en me souvenant ds nombreux responsables de sécurité que j'ai pu rencontré au cours de ma carrière. Les services de sécurité nous ont aidés. Nous avons pu tourner dans les locaux du Département du Trésor, dans certains bureaux même. Ca facilite grandement les choses. ."On peut, de la même manière tourner un films sur l'armée sans l'accord du ministère de la Défense - d'excellents films sur l'armée ont même été faits dans ces conditions, mais les aspects administratifs d'un tournage sont considérablement simplifiés quand on a l'approbation des intéressés. J'espère sincèrement que le film plaira aux gens de la sécurité, entre autres parce qu'il devrait faire mieux comprendre au public le rôle qu'ils jouent. Mais je me garderai bien de touteprédiction, parce que comme le dit le personnage que j'interprétais dans "Chasseur blanc coeur noir" : "Quand on fait des films, il faut oublier qu'il sera vu par des spectateurs". On fait un film , on le fait le mieux possible. La question de savoir s'il aura ou non un public se pose ultérieurement. Lorsque j'ai tourné "Doux, dur et dingue" toutes les études de marché assuraient qu'il ne ferait pas un centime.. Si je me souviens bien , il a finalement rapporté 85 millions de dollars, à une époque où le ticket de cinéma était encore à 2,50 $. Autrement dit, on ne peut jamais rien prévoir. Mais les tudios n'en continuent pas moins à commander des études de marché.

 

CINE NEWS : Votre Oscar garantit toutefois de pouvoir désormais tourner régulièrement dans de grosses production...

CLINT EASTWOOD : Ce n'est pas en ces termes que la question se pose. Le film que je tourne actuellement (avec Kevin Costner) est du genre intimiste. C'est simplement l'histoire d'un inspecteur de police à la poursuite d'un prisonnier évadé, au texas, dans les années soixante. Il s'agit en fait de deux histoires parallèles qui ne se rejoignent qu'à la fin. Il est normal qu'on évolue avec le temps, qu'on n'ait pas les mêmes idées, mais je ne pense pas qu'il faille changer sa philosophie sous prétexte qu'on a eu la chance de décrocher un Oscar. Cela n'implique pas qu'on doive en avoir un autre l'année suivante. Le fait d'avoir un Oscar procure une grande joie, mais quand la fête est finie, il faut se remettre àson travail comme si de rien était.

 

CINE NEWS : Dans vos deux derniers films, vous interprétez des hommes qui ont leur avenir derrière eux. Comptez-vous poursuivre sur ce thème ?

CLINT EASTWOOD : Non au contraire. Du point de vue de mon métier, je ne suis pas loin de penser que j'entre à peine dans la force de l'age. Et ces deux films marquent en fait le début d'une ère nouvelle, qui sera pour moi l'occasion de jouer les rôles que je n'ai jamais abordé jusque-là.

CINE NEWS : Est-ce que vous ruminiez dans votre coin quand votre travail, et d'acteur et de réalisateur, n'était pas pris au sérieux.

CLINT EASTWOOD : Non, parce que j'ai toujours estimé que la première satisfaction devait être trouvée dans le travail lui-même. Si l'on fait son travail sérieusement, et si le résultat correspond à ce qu'on souhaitait, il ne faut pas se préocuuper de la réaction des gens. Beaucoup vous diraient sans doute : "Allons ! Il aurait bien aimé être reconnu plus tôt !" mais, franchement, je n'ai jamais résonné de cette manière. Je fais des films et j'y trouve mon plaisir. Et le public n'est pas allé voir certains de mes films que, moi, je préfère à tous les autres. Comment savoir ? On fait le film, et l'on peut simplement s'estimer heureux si le public fait la queue pour aller le voir. Comme je l'ai dit, les études de marché sont faites par des gens qui vous font marcher, mais qui ne savent rien.

CINE NEWS : Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui font observer que, dans "Dans la ligne de mire" vous incarnez une fois de plus un sale machiste ?

CLINT EASTWOOD : Je ne pense pas que ce machiste soit foncièrement machiste soit foncièrement machiste c'est même là que réside tout l'intérêt du personnage. Il essaie d'influencer l'héroïne en attaquant ses idéaux féministes, mais ce n'est qu'une astuce stratégique. De la même façon, tous les préjugés qu'il peut, à l'origine, avoir à propos de l'intégration d'une femme dans les servies de sécurité sont composés par le fait qu'il travaille avec une femme et qu'il reconnaît son efficacité. Mon travail de comédien consite précisément à faire sentir l'évolution du personnage. J'aime bien interpréter des personnages au départ pleinns de préjugés sur les gens et les choses, mais qui progressivement, face aux évènements doivent reconaître leur erreur. En ce qui me concerne, je ne pense pas être machiste. C'est drôle, cette manie du public de vouloir toujours confondre l'acteur et le personnage... Comme je me plais à le répéter, les personnages que j'ai le plus de plaisir à incarner sont ceux qui me ressemblent le moins.