INTERVIEW - mai 1994

 

au magazine "Télé K7"

(A l'occasion of the 47ème festival de Cannes)

 

TELE K7 : François Truffaut s'est donné comme règle d'or de ne jamais être membre du jury dans un festival quel qu'il soit. Vous n'avez visiblement pas la même opinion à ce propos que lui ?

CLINT EASTWOOD : Je ne suis pas forcément en désaccord avec lui car j'ai bien l'impression qu'il avait établi sa règle d'or après avoir été lui-même juré dans un festival ! Cela dit, jévite d'avoir dans la vie des règles trop définies.

TELE K7 : Avez-vous déjà été membre d'un jury ?

CLINT EASTWOOD : Oui, il y a plusieurs années, dans un vrai tribunal. J'aurais bien du mal à vous dire sur quel délit il fallait se prononcer. Je me souviens que j'ai dû faire beaucoup d'efforts pour ne pas m'endormir.

TELE K7 : Comment définiriez-vous votre travail de président de jury ?

CLINT EASTWOOD : Je ne sais pas bien encore quels seront mes devoirs. Mais je suis sûr que Gilles Jacob et les gens qui travaillent avec lui éclaireront ma lanterne.

TELE K7 : Quel type de films espérez-vous voir à Cannes ?

CLINT EASTWOOD : Je suis un fan du festival de Cannes. . J'y ai toujours été reçu comme un prince et j'aime l'enthousiasme des français pour le cinéma. J'ai toujours apprécié la façon de le festival mélangeait les genres et je suis convaincu que le programme de cette année n'aura rien à envier à celui des années précédentes. S'il y a des films du calibre de "La leçon de paino", ou "Adieu ma concubine", nous ne perdrons pas notre temps.

TELE K7 : Avez-vous votre mot à dire dans le choix des membres du jury ?

CLINT EASTWOOD : Non, cela se fait sans moi.

TELE K 7 : Est-ce que vos fonctions de président vous ont obligé à modifier votre emploi du temps ? Et rejoindrez-vous les golfs de St-Andrews en Ecosse juste après le festival pour tourner avec Sean Connery.

CLINT EASTWOOD : Je n'ai as eu à modifier mon planning. J'espère être prêt pour St-Andrews juste après le festival, mais la rédaction du scénario de "Golf and the Kingdom" n'est pas encore terminée.

TELE K7 : Vous avez un jour déclaré que le régime Cannes, deux films par jour au moins pendant onze jours, faisait rêver votre fils Kyle. Partagez-vous sa cinéphilie ?

CLINT EASTWOOD : Je vois encore aujourd'hui le plus possible de films chaque semaine, que ce soit dans des projections privées ou dans des salles de cinéma. Certaines semaines fastes, j'en vois quatre ou cinq. Quand le choix est moins vaste, je me contente de n'en voir qu'un.

TELE K7 : Depuis une dizaine d'années, vous comptez parmi les "abonnés" de Cannes ?

CLINT EASTWOOD : J'aime le respect que Cannes voue à l'art cinématographique, pour les films américains comme pour les autres films. Les Etats-Unis cèdent volontiers aux modes. En Europe, on s'attache plus à ce que l'artiste a voulu dire. J'ai eu un jour des mots avec un américain qui ricanait en évoquant l'enthousiasme des français pour Jerry Lewis. "Qui y-a-t-il de condamnable là-dedans ? lui ai-je demandé. Jerry Lewis est un type qui a consacré toute une partie de son existence à faire ses films. En quoi l'attitude des gens qui essaient d'étudier ceux-ci de près est-elle ridicule ? C'est peut-être vous qui manquez quelque chose." Il y a des gens qui face au plus beau panorama du monde, ne voient rien ! Heureusement, grâce au développement des écoles de cinéma, les américains commencent à rattraper le temps perdu et regardent aujourd'hui le cinéma d'un peu moins haut.

TELE K7 : Mais que représente Cannes pour Hollywood ?

CLINT EASTWOOD : C'est difficile à dire. Il faudrait s'adresser à des responsables du département des ventes dans les compagnies pour savoir l'influence que Cannes peut avoir sur le box-office. Mais je sais que pour moi et pour la Warner, qui distribue mes films, Cannes est important. En tant que cinéaste, je crois que mes visites à Cannes, les rencontres que j'y fais, les films que j'y vois ont contribué à enrichir mon travail.

TELE K7 : Vous avez pris votre revanche avec ceux de Leone, et avec les votres, "Josey Wales, "Impitoyable" ?

CLINT EASTWOOD : Travailler pour la série "Rawhide revenait à faire chaque semaine un nouveau film, et ce pendant huit ans. Aussi n'ai-je guère était emballé quand mon agent m'a proposé en 1964 de partir pour l'Espagne afin d'y jouer dans un western italo-hispano-allemand intitulé "Pour une poignée de dollars". J'ai changé d'avis quand j'ai reconnu dans le scénario l'intrigue de "Yojimbo" de Kurosawa. J'ai accepté le rôle pour 15 000 dollars, sans le moindre pourcentage sur les recettes. J'étais fatigué de jouer à la télévision les cowboys trop bien élevés et trop bien rasés. C'est ce qui m'a fait choisir le chapeau, le poncho, le jean noir, et les cigarillos à l'odeur infecte.

 

TELE K7 : Vous avez débarqué à Cannes pour la première fois avec un western, "Pale rider" ?

CLINT EASTWOOD : Hollywood est rempli d'experts qui ne cessent de proclamer la mort du western. Mais je n'ai jamis douté de sa vitalité. J'ai personnellement eu beaucoup de chance avec ce genre en particulier avec "Bronco Billy" et "Josey Wales"... Le western est toujours un reflet d'aujourd'hui, que cet aujourd'hui se situe en 1890 ou 1994. Les questions morales demeurent toujours les mêmes de toute façon.

TELE K7 : Y aura-t-il d'autres westerns de Clint Eastwood ?

CLINT EASTWOOD : Je n'ai pour le moment aucun projet en vue dans ce sens. Mais s'il se présente un scénario qui me permette de m'aventurer dans des zones encore non explorées du genre, je m'empresserai de le tourner.

TELE K7 : Deux semaines après Cannes, vous allez célébrer votre soixante-quatrième anniversaire ?

CLINT EASTWOOD : Et alors ? Tout va bien tant que l'on mûrit. Mais je veux croire que j'ai évolué et je contune d'évoluer dans le bon sens.