INTERVIEW - septembre 1995

 

au magasine "Télé K7"

(A l'occasion du Festival de Deauville)

 

TELE K7 : On n'attendait pas de vous cette "love story" à l'ancienne !

CLINT EASTWOOD : Sur les quarante quatre films que j'ai tournés, je n'ai pas passé mon temps à me balader avec un Magnum 44. Lorsque j'ai décidé de faire ce film, je savais qu'il y aurait des préjugés contre moi. Pourtant, j'ai toujours été un romantique. J'adore les atmosphères d'éclairage aux chandelles, avec un bon verre de vin et de la bonne music...

TELE K7 : Jusqu'à présent vous l'avez montré de façon très bizarre ?

CLINT EASTWOOD : Avant je faisais des "sneaks previews" (projections en avant première) pour connaître les réactions du public et éventuellement changer les choses. Maintenant je m'en fiche. Je fais un film comme je le sens et je laisse le public juger. Ce film montre une sensibilité personnelle que je nais pas exprimer par les mots.

TELE K7 : Comment avez-vous découvert ce livre "Sur la route de Madison" (paru chez Press Pocket) ?

CLINT EASTWOOD : Lors de sa sortie en librairie, le livre a connu un immense succès, mais je ne l'avais pas lu. La productrice Lili Zanuck, qui est une amie, me voyait dans le personnage de Robert Kincaïd. J'ai donc lu le livre et je me suis dit que je pouvais le jouer avec un bon script et une bonne actrice. Ma mère, à 86 ans, adore le livre et est toute excitée à l'idée que je réalise et joue dans ce film.

TELE K7 : Un bon script ?

CLINT EASTWOOD : Le livre frise le mélodrame. Nous avons évité au maximum d'envoyer les violons. Dans le film, on nous voit, Meryl et moi, éplucher des carottes ou chasser les mouches. Je voulais que les gens en nous voyantbpensent à eux, à leurs propres relations amoureuses. Tout le monde, à un moment de sa vie, a eu - ou en a rêvé - une grande histoire d'amour.

TELE K7 : En quoi le personnage du photographe vous ressemble-t-il ?

CLINT EASTWOOD : Je pense que ce rôle est celui qui se rapproche le plus de ce que je suis dans la réalité, plusque tout ce que j'ai joué auparavant. J'ai été ce type. Comme lui, j'ai souvent pris ma camionnette et je suis parti en solitaire. J'aime Kincaïd. Il est indépendant et créatif. Il vît sa vie tranquillement. Il aime ce qu'il est et sait prendre ses responsabilités.

TELE K 7 : Pourquoi Meryl Streep ?

CLINT EASTWOOD : C'est la seule actrice que j'ai contactée. Elle a parfaitement compris les rêves inassouvis de Francesca, sa simplicité et sa beauté intérieure. Elle donne d'emblée le maximum dès la première prise. Je filme parfois les répétitions, au cas où... Elle a préparé son personnage et, sur le plateau, elle savait parfaitement où elle allait.

TELE K7 : Meryl Streep dît que vous êtes un directeur réalisateur taciturne...

CLINT EASTWOOD : Si je ne dis rien, c'est que tout me convient. Je crois que le travail du metteur en scène est de choisir le bon script et les bons acteurs. Après, il doit éviter les tensions et se fixer un certain degré de tranquillité rassurante.

TELE K7 : Vous aviez huit semaines de tournage, vous n'en avez utilisé que six. Vous filmez vite.

CLINT EASTWOOD : Je déteste cette réputation de faire des films vite et bien. attention ce n'est pas "Plan nine from outer space" d'Ed Wood. (ce cinéaste considéré par ses pairs et la critique comme un des plus mauvais de sa génération, était réputé pour tourner des films en une seule prise). Si, j'ai besoin de vingt prises, je prends le temps de les tourner. Mais là, on a tourné chronologiquement, en décors naturels, une histoire simple sans maladie incurable ou desespoir mortel. Je n'ai pas cédé à la mode des films video clip, des films d'action explosifs dans lesquels j'avoue avoir été souvent impliqué ! Je voulais essayer quelque chose de neuf, prendre le temps de connaître les gens. Là je films en temps réel et laisse le dialogue s'installer.